13 mars 2006
Majorque, une histoire de pierres sèches
Dans la Serra de Tramuntana, zone montagneuse située au Nord-Ouest de l'île de Majorque, les constructions en pierres sèches constituent de précieux éléments patrimoniaux et paysagers. Les terrasses de culture sont les constructions les plus étendues en raison des conditions physiques de cette région qui rendent indispensable le découpage des versants en gradins pour obtenir des terres de culture. Il faut aussi prendre en compte que depuis la cime la plus haute de la Serra (puig Major-1400 m), il n'y a pas plus de 2 km à vol d'oiseau jusqu'au niveau de la mer; de plus, à ces fortes pentes s'ajoutent des facteurs lithologiques et un régime de précipitations provoquant une torrentialité élevée.
L'extension importante des terrasses de culture de la Serra vient accroître la valeur de tout ce patrimoine. Elles couvrent approximativement entre 160 à 200 km2 par commune, à tel point que, dans quelques unes d'entre elles, les zones sans terrasses de culture correspondent exclusivement aux propriétés communales, aux cimes rocheuses et au contact avec la plaine.
Tout au long de la Serra existent de nombreux ensembles de grande valeur patrimoniale reconnus internationalement comme exemples exceptionnels de cette technique de construction. Parmi eux peuvent être signalés, par exemple, la huerta de Banyalbufar, les vallées de Soller et Fornalutx, les terres défrichées («routes») de Caimari…
La culture de l'olivier domine dans ces champs en terrasses et celle des céréales et des légumineuses lui était associée autrefois. Au-dessus de la limite en altitude de l'olivier, les terres étaient destinées aux cultures herbacées sèches. Les terrasses de culture irriguées dépendaient logiquement de la présence de sources, avec de petits jardins isolés destinés le plus souvent à l'autoconsommation familiale. Dans quelques communes (Banyalbufar, Soller, Fornalutx…) l'abondance de l'eau permit la création de vastes étendues de huerta où se développèrent des systèmes d'irrigation complexes, où l'investissement dans la construction et l'entretien des terrasses de culture furent une cause majeure de l'orientation commerciale des cultures (agrumes, tomates…).
La qualité technique et la diversité des constructions des champs aménagés en terrasses majorquins démontrent parfaitement qu'une grande partire d'entre eux ne fut pas le fruit d'une construction par les agriculteurs eux-mêmes, mais de l'intervention de professionnels de la construction des murs de terrasses (margers).
Par ces constructions, l'homme a modifié le relief de la Serra, et l'importance de cette modification a été mise en relation avec les facteurs physiques, mais aussi avec l'investissement réalisé et l'habileté du constructeur.
Généralement, les zones les plus rocheuses sont celles qui présentent les terrasses de culture le mieux adaptées au milieu, où les dimensions et la répartition dépendent des obstacles rocheux, tandis que le reste des versants présente une organisation plus régulière.
L'effort de construction maximal apparaît dans les ensembles de terrasses de culture dont la disposition des murs est parallèle, avec des aménagements intégrés qui en facilitent l'accès (rampes, escaliers, chemins empierrés…); ces ensembles sont généralement liés aux cultures intensives de huerta pour obtenir le maximum de superficie utilisable, aux petites parcelles de culture sèche ou aux investissements de grands propriétaires.
Tous ces éléments sont construits, majoritairement, à l'aide de pierres calcaires, matière première la plus disponible et aussi la plus employée, et qui permet différents degrés dans le travail, en fonction de l'habileté du constructeur et de l'investissement réalisé dans le travail des terres pour chaque propriété. Les terrasses de culture sont de véritables témoins de l'évolution de cette technique de construction et, bien que les murs offrant un degré moyen de travail soient nombreux, quoique l'ajustement des pierres ne soit pas parfait dans le but de laisser passer l'eau, il existe de nombreux exemples de recherche de la perfection dans l'effort vers un emboîtement parfait.
Outre cette nécessité d'accroître l'espace agricole, les ensembles de terrasses de culture sont d'importants éléments de lutte contre l'érosion hydrique, puisque l'absorption de l'eau y est favorisée par chaque terrasse, le champ doté de canaux ou de déviations d'eaux de ruissellement et de conduites souterraines.